Chômage au Burundi : La grogne des lauréats des universités
24 février 2023Chaque année, des milliers d’étudiants terminent leurs études dans différentes universités au Burundi. Face au chômage, certains lauréats vivent dans une déception totale, malgré leurs efforts pour s’en sortir. Témoignages
Fatigué, visage transpirant, Etienne K. a passé toute la journée dans le centre-ville de Bujumbura. Lauréat de l’université des Grands Lacs (UGL), il est vendeur des cartes de recharge des téléphonies mobiles depuis une année. Baccalauréat en poche, il gagne à peine 50 mille BIF par mois. L’histoire d’une déception.
« Je loue une chambrette avec mes quatre camarades à Mugoboka (un quartier périphérique à l’est de la ville de Bujumbura). Nous payons 50 mille BIF, donc 10 mille BIF chacun pour le loyer. On ne parvient pas à bien dormir la nuit. On mène une vie très précaire », confie-t-il avec amertume.
Avec les 40 milles BIF restants, ce lauréat de la faculté d’économie doit subvenir à d’autres besoins. Impossible de manger deux fois par jour : il a perdu 10 kg en une année. « Je ne me souviens pas quand j’ai acheté des nouveaux vêtements pour de la dernière fois. Difficile d’acheter du savon de lessive », explique Etienne, 26 ans, montrant le col de sa chemise déchiré et son pantalon sale.
Désespéré, la pression de sa famille l’enfonce. Personne ne comprend sa situation. En l’envoyant à l’université, ses parents, cultivateurs au centre du pays, voyaient en lui un investissement pour le bien-être familial. Ainsi, ils lui demandent souvent de l’argent. Notamment pour aider ses petits frères et sœurs à l’école primaire et secondaire.
Pour s’en sortir, Etienne continue de chercher l’emploi, en vain. En outre, il manque de capital pour lancer ses « petits projets », comme il dit sans vouloir les détailler : « Comme il n’y a pas de mouvement sur mon compte bancaire, la banque ne peut pas m’accorder un crédit. Je suis bloqué presque partout ».
La situation est presque la même pour Jeanine M., lauréate de l’Université Sagesse d’Afrique. Chômeuse depuis 2020, elle vit un calvaire chez sa tante à Kinanira au sud de la ville de Bujumbura.
« En attendant de décrocher un boulot, je suis devenu travailleuse domestique de ma tante, sans salaire ». Cette trentenaire n’espère plus trouver l’emploi. Raison : elle a postulé dans plus de dix opportunités dans les entreprises privés, publiques, etc., sans succès. Elle dénonce le favoritisme dans les recrutements.
Jeanine déplore des discours « populistes et propagandistes » des autorités du pays appelant les jeunes à plutôt créer de l’emploi. Elle recommande que ces propos soient accompagnés par des actions concrètes du gouvernement. Pour elle, le gouvernement devrait, par exemple, exiger les banques à fixer le taux d’intérêt sur les crédits à 5 % pour les jeunes entrepreneurs.
« Les jeunes ont de bonnes idées entrepreneuriales, mais le climat des affaires n’est pas bon au Burundi. Tout est politisé », fustige-t-elle.
Elle estime que le gouvernement a la responsabilité de créer l’emploi, améliorer l’environnement des affaires et assurer l’égalité des citoyens devant les opportunités.
Pour certains étudiants, le vécu de leurs ainés est démotivant. Joyeuse M., étudiante en Bac 3 à l’Université du Burundi se souvient de la vie menée par son grand-frère. « Intelligent à l’université, il était mon idole. Après son bac, il n’a pas obtenu de l’emploi. Il s’est débrouillé dans le commerce, mais cela n’a pas marché. Déçu, il est chômeur depuis cinq ans », témoigne-t-elle.
Elle regrette que les cours à l’université ne préparent pas l’étudiant à l’entrepreneuriat. Selon elle, on peut passer trois ans pour apprendre des théories sans pratique. Elle appelle le ministère de l’Education à reformer le système éducatif : « A l’université, il faut réserver plus de temps à la pratique, à apprendre des leçons nécessaires pour se débrouiller dans la vie ».
« Pas de chômeurs, mais des fainéants »
Malgré les lamentations des lauréats des universités, les hautes autorités du pays continuent d’appeler les jeunes à s’auto-employer. Par ailleurs, le président de la République, Evariste Ndayishimiye, estime que personne ne peut être chômeur au Burundi.
« En Europe, je peux affirmer qu’il y a des chômeurs, mais pas au Burundi. Dans notre pays, il n’y a que des fainéants », a indiqué le président de la République, lors de la célébration de la journée « Inkerebutsi Day » dédiée aux jeunes entrepreneurs, ce 10 février.
Pour lui, les lauréats des universités doivent transformer les connaissances acquises en activités génératrices de revenu : « Il faut éradiquer cette mentalité qu’on doit être embauché par l’Etat après ses études. Il est possible de bien vivre sans toutefois être un salarié de l’Etat ». Il a appelé les jeunes burundais à être créatifs et innovants pour mener le pays au développement.
Selon le rapport de février 2021 établi par le ministère burundais de la Fonction publique, du Travail et de l’Emploi, avec l’Organisation International du Travail (OIT), le taux de chômage pour les Burundais ayant le niveau d’étude supérieur est de 17,9 %.