Carine et Roger : un amour possible entre sourds muets
24 février 2023La marginalisation des personnes en situation de handicap peut être une barrière pour fonder un foyer. Comment organiser un mariage rien qu’à deux, quand les membres de la famille s’y sont tous opposés? Rencontre avec Carine et Roger, sourds-muets habitant en Mairie de Bujumbura et mariés depuis deux ans, intimement liés par le langage des signes … d’amour.
Carine est une femme souriante, plutôt réservée. Elle observe chaque mouvement autour d’elle. Au début de l’interview, elle s’assure que toutes les chaises sont confortables et ramène un rafraîchissement pour tout le monde. Roger quant à lui est plus calme. Il esquisse un sourire nerveux, gêné par la sortie de mon carnet pour prendre des notes. Suite à leur handicap, pour faciliter l’échange, ils sont avec un interprète qui utilise le langage des signes. Nous sommes en Maire de Bujumbura, dans le quartier Sororezo
Chacun commence par décrire ses débuts avec le handicap. « Je suis né sourd-muet mais mes parents ont su gérer la situation », raconte Roger, « même si je n’ai pas fréquenté le banc de l’école suite au manque d’un établissement adapté à mon handicap, je ne me suis jamais senti à l’écart des autres enfants »
Pour Carine, l’histoire est un peu différente. Elle qui avait la parole jusqu’à son deuxième anniversaire, devient handicapée après un accident de voiture qui a failli lui couter la vie. Elle y perd la parole et son ouïe va se détériorer également au fil du temps. « Au début je n’arrivais à l’accepter. Je pleurais chaque nuit. Quand j’ai appris que même mon ouïe était bousillée, mon cœur s’est brisé. Mais avec le temps, je suis parvenue à surmonter cette épreuve. Maintenant je vis en paix avec mon handicap. »
Un « happy ending » qui a eu des débuts difficiles
Carine et Roger se sont rencontrés en 2020, dans une formation avancée en langage des signes, dispensée par une organisation locale, activiste des droits des personnes en situation de handicap. Leur histoire commence dans cette salle. Une année après, ils veulent se marier.
Au début, leurs familles sont contre cette relation. Personne ne comprend comment deux personnes en situation de handicap peuvent réussir à fonder un foyer. Roger explique qu’ils ont dû habiter ensemble avant d’aller s’inscrire à l’état civil en cachette. Carine se souvient : « Je me rappelle que pour voir ma mère, je devais aller à la messe du matin. Ne fut-ce que pour croiser son regard. Je l’ai fait pendant toute une année, sans qu’elle ne s’arrête un jour pour me saluer et prendre de mes nouvelles »
Une année à l’écart où les jeunes mariés ont dû vivre sans aucune visite. En janvier 2022, un membre de la famille de Roger toque à leur porte et ils sont tous étonnés. Il leur dit que leurs parents sont dans le remord et voudraient bien reprendre contact. Chose que Roger n’a pas voulu accepter directement. « J’avais été trop blessé par leur attitude, ils étaient ma seule famille et ils m’ont abandonné quand je franchissais l’étape importante de ma vie », explique-t-il. Mais par après, son épouse a pu le calmer et ils ont accepté de les recevoir. « Je me rappelle qu’il y avait des émotions intenses ce jour-là. Je n’arrêtais pas de pleurer, mais c’était des larmes de joie. La réconciliation n’a pas été complexe, nous voulions tous que ce jour arrive »
Actuellement le couple vit en harmonie avec leurs proches. Epanoui. Les voisins conviennent d’ une chose : « Ils sont incroyables et forcent l’admiration. Les jeunes en situation de handicap devraient les prendre comme modèles pour oser fonder leurs foyers »
Soulignons que Carine et Roger ont entamé ensemble un projet d’apprentissage du langage des signes sur la colline Sororezo en Mairie de Bujumbura et actuellement 6 jeunes sourds muets sont formés et entreprennent de petits projets pour subvenir à leurs besoins. Et qui sait, y trouver l’amour.
*Noms d’emprunt
NB. Les propos retranscrits entre guillemets ont été transmis par l’interprète